Épicuriales de Liège 2024, vendredi soir : La Cuisine de Yannick
Publié le 26 mai 2024
Il faut comprendre, pour saisir tout le sens de cet article, que les Épicuriales sont une double célébration : celle de la restauration liégeoise et celle des échanges, du travail réalisé en commun par les chefs liégeois et les chefs invités. Qui, jusqu’à présent, sont surtout venus de Paris. Ce soir, nous ne sommes pas sous la tente, Mehdi et moi. Nous nous sommes éloignés temporairement du parc de la Boverie (et de ses lapinous) pour répondre à l’invitation de Yannick Bougnet, chef et patron de La Cuisine de Yannick à Liège.
Dès notre arrivée, je découvre sur le passe cette poêlée de seiche (à moins que ce ne soit du calmar) prête à rejoindre le four, dont elle sortira tendre et croquante, juste à point. Ça donne faim, cette fraîcheur et ces couleurs.
Chaque année, Yannick a la gentillesse de m’inviter à déjeuner ou dîner chez lui, et depuis l’année dernière Mehdi Kebboul est de la partie. C’est devenu comme un rituel sacré que nous évoquons bien avant le début du festival : « OK Pierre, je raconterai les repas sous la tente des chefs, mais il faut au moins que je m’échappe un soir pour aller dîner chez Yannick. C’est incontournable. »
Comme chaque année, Yannick nous installe en cuisine, à la petite table du chef, face au passe. Vue imprenable sur les préparations, leur générosité et leur justesse.
La Cuisine de Yannick est une institution liégeoise bénie par le talent multifacettes du chef : il sait rendre hommage à la cuisine traditionnelle wallonne tout en faisant d’audace et de créativité, sans contradiction ni couture visible. Yannick et sa compagne Jamila, également en cuisine, ne se conforment à aucun modèle. Ils font ce qu’ils veulent, guidés par leurs passions. L’une d’elles est l’Italie, la région de Modène en particulier. C’est pourquoi le vinaigre balsamique AOP et le parmesan Reggiano, tous deux d’âge vénérable, jouent un rôle important dans leur cuisine. Ci-dessus, notre dessert (ne commençons pas par le commencement) : à gauche, 24 mois d’âge, et de plus en plus vieux jusqu’au 100 mois, en bas à droite.
Le plus immédiatement goûteux est le 24 mois ; le suivant (36 mois si je me souviens bien) offre le meilleur équilibre entre sécheresse et fraîcheur ; plus loin (50 mois) il faut laisser le petit bout de fromage s’épanouir en bouche pour ressentir l’intensité de saveur, et le 100 mois est très surprenant, sec comme l’Arizona, mais réservant une sapidité concentrée (je dirai umami la semaine prochaine) dont les notes lactiques ont disparu, et une persistance interminable. Il est différent des autres très vieux parmesans que j’ai pu goûter par le fait qu’il ne développe aucune note de café au lait : il reste fromage jusqu’à la moindre miette.
C’est avec ce 100 mois, carrément, que Yannick a confectionné ces croquettes au parmesan. La croquette, c’est un monument de la cuisine belge, et Yannick, c’est le roi des croquettes. Je n’en ai jamais mangé de si bonnes ailleurs.
Une photo de l’année dernière, quand il y avait encore des croquettes de crevettes (les crevettes grises sont devenues hors de prix, donc pas de croquettes de crevettes cette année). Ceux qui connaissent cette spécialité apprécieront, rien qu’à l’œil, la perfection de l’objet. On voit bien la panure croquante assez solide pour retenir la masse fondante, mais celle-ci ne demande qu’à sortir, comme en témoigne ce petit renflement presque imperceptible vers le bas. Tout un art.
Autre photo de l’année passée, le célèbre os à moelle, grillé au four et garni de tartare de bœuf au couteau assaisonné au moment de servir. Je ne vous décris pas le plaisir que ça procure, vous vous en doutez.
Revenons à ce vendredi soir de mai 2024. Ces poireaux chauds, vinaigrette aux noisettes, nous consolent de ceux du premier dîner (vous vous souvenez qu’ils étaient un peu fibreux). Ici, ils sont tendres, moelleux et dodus, cédant immédiatement sous le couteau et se laissant trancher bien net. Mine de rien, c’est roboratif les poireaux (toutes ces couches), mais on les dévore jusqu’au dernier.
Ravioles au homard en pâte fine et légère, délicatement saucées.
Après ces bombes de saveur arrive un cabillaud cuit au quart de poil, soyeux, juste à point.
De la salle — dirigée par Joëlle, la sœur de Yannick — nous parviennent les clameurs d’une grande tablée masculine qui ne dissimule pas son enthousiasme. Tout le répertoire de Sardou et de Joe Dassin y passe, à fond la caisse. Apparemment ils viennent chaque année et s’en donnent à cœur joie. En plus, ces veinards vont se régaler d’une côte de porc fermier wallon sauce charcutière, avec des frites.
Je suis une fan de tête de veau et je ne raterais pour rien au monde la version de Yannick, en tortue, pleine de gros dés de langue de veau, il n’y a qu’un mot à dire : miam, et désolée si c’est schématique.
Et l’accompagnement idéal des plats en sauce, ce sont les frites, évidemment. Comment sont-elles ? Au blanc de bœuf, double cuisson — vous vous croyez où ?
Je n’ai malheureusement pas photographié l’autre marmite : celle de tripes à la romaine, qui appellent elles aussi les frites.
Yannick et Jamila nous réservent toujours des surprises : cette fois, un genièvre de Houlle très rare, dont il me sert généreusement. « Merci, Yannick, mais je ne boirai pas tout. » Il ne faut jamais dire « fontaine », car ce genièvre est irrésistible, et le verre est vide quand nous quittons le restaurant. Mais nous n’en avons pas fini avec Yannick, que nous allons retrouver dans un article ultérieur, sur son dîner à six mains avec André Le Letty (Le Bistrot du Maquis, Paris) et Luca Bini, chef à domicile en Toscane. Sous la tente des chefs, le samedi soir.
La Cuisine de Yannick est une étape obligatoire si vous passez à Liège. Le Guide Michelin, qui lui attribue un Bib gourmand chaque année sans démériter, tape dans le mille : « préparé avec savoir-faire et débordant de saveur ». Adresse : En Féronstrée 111, tél. +32 4 221 43 14. Ouvert du mercredi au samedi de midi à 14 heures et de 19 heures à 21 heures. Le dimanche de midi à 14 h 30.